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L’invention du terme « innovation disruptive » et son origine

1995. Un professeur de Harvard fait publier, dans la Harvard Business Review, un article qui impose un terme tout neuf sur l’échiquier économique. L’« innovation disruptive » vient de naître, bousculant de fond en comble la façon dont on décrypte la concurrence et les mutations de marché.

À cette époque, les grandes entreprises incarnent le modèle de l’efficacité industrielle ; leur maîtrise semble sans faille. Or, malgré des stratégies synonymes de réussite, certains mastodontes se font rattraper, puis dépasser, par des challengers auxquels personne ne croyait. Cette bascule casse l’assurance des anciens schémas : il va falloir réécrire la théorie, car le réel se rit des règles établies. Sur cette base va émerger une nouvelle manière de lire les grands bouleversements économiques.

Pourquoi le terme « innovation disruptive » a marqué un tournant dans la pensée économique

L’apparition de la notion d’innovation disruptive a secoué nombre de certitudes au sommet du management. Jusque-là, la réussite se fondait sur l’innovation incrémentale : on peaufine, on optimise, on affine sans relâche produits ou services. Une méthode qui rassure, construite à coup de progrès subtils. Mais le choc, ce sont les leaders déclassés brutalement, sans que les recettes d’optimisation n’y changent rien. D’où l’urgence d’un mot neuf : « innovation disruptive », capable de cerner le basculement. Il s’agit du moment où une alternative inédite, plus simple, moins coûteuse ou radicalement différente, relègue l’offre d’hier à la marge.

La réelle force de cette théorie : sa faculté à montrer comment un nouveau marché voit le jour ou comment un secteur se réinvente. Nul besoin d’un exploit technologique ; changer les usages, inventer un modèle économique inédit, repenser tout la chaîne de valeur suffit. Les acteurs déjà en place, trop concentrés sur leurs clients fidèles et l’optimisation continue, ratent ces signaux faibles, négligeant des publics délaissés ou des besoins inconnus, là où la rupture s’ancre.

Dans cette optique, voici les éléments qui différencient les deux grandes formes d’innovation :

  • L’innovation disruptive s’accompagne d’un nouveau business model, pas seulement d’un bond technologique.
  • L’innovation incrémentale se limite à perfectionner ce qui existe sans modifier profondément la structure du marché.
  • La destruction créatrice, concept de Schumpeter, trouve ici une nouvelle actualisation : certains secteurs disparaissent, d’autres se créent sur leurs ruines.

La stratégie dite « Océan bleu » suit la même logique : elle invite à innover sur des terrains que la concurrence n’explore pas, à s’aventurer sur une carte stratégique vierge. Différencier innovation de rupture et innovation incrémentale devient alors central pour anticiper les risques et penser les voies de croissance.

Qui est à l’origine de la disruption et comment ce concept a-t-il évolué ?

On attribue l’essor de la notion d’innovation disruptive à Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School. En 1997, il développe le concept dans « The Innovator’s Dilemma ». Sa démonstration frappe : des outsiders, positionnés sur l’entrée de gamme, font trébucher les géants avec des produits que ces derniers jugent négligeables, mais que le public finit par adopter en masse. Cette théorie dévoile pourquoi bon nombre de sociétés réputées pour leur gestion perdent pied au moment où l’on s’y attend le moins.

Mais l’idée de rupture vient de plus loin. Dès le début du XXe siècle, Joseph Schumpeter avance la notion de destruction créatrice : l’innovation balaie les anciens modèles pour en générer de nouveaux. Christensen s’inscrit dans cette tradition, en y ajoutant un angle : ce bouleversement ne provient pas forcément d’une performance technique, mais aussi d’une façon inédite d’utiliser ou de vendre.

Ainsi, la publicité et le monde du marketing se saisissent, eux aussi, du terme. Au cours des années 90, Jean-Marie Dru, aux commandes de TBWA, impose « disruption » pour évoquer des stratégies de marque qui rompent brutalement avec les conventions. L’idée déborde le seul cadre industriel et innerve bientôt l’organisation de l’entreprise, le management, les imaginaires professionnels.

On peut alors distinguer les rôles des principaux contributeurs à cette révolution conceptuelle :

  • Clayton Christensen : théorise et médiatise l’innovation disruptive à l’échelle internationale.
  • Joseph Schumpeter : initie la réflexion avec l’idée fondatrice de destruction créatrice.
  • Jean-Marie Dru / TBWA : exporte la notion sur le registre de la communication et du positionnement d’entreprise.

Sorti des revues académiques, le terme s’impose dans le langage courant de la stratégie et s’invite désormais dans tous les débats autour de la transformation des organisations.

Jeune entrepreneure esquissant des idées sur une vitre moderne

Les transformations concrètes : comment l’innovation disruptive redéfinit les marchés et inspire de nouveaux modèles

L’innovation disruptive n’est pas un simple concept théorique. Ses effets se lisent dans la vie économique réelle, où elle redistribue massivement les positions. À l’image de Netflix : cette plateforme a balayé la location physique de DVD, offrant une nouvelle expérience de visionnage, plus immédiate, plus accessible. Citons aussi l’iPhone, qui n’a pas simplement amélioré le téléphone existant mais l’a métamorphosé, précipitant la révolution du numérique mobile.

Ce type de rupture dépasse la sphère high-tech. La finance a vu surgir les fintechs et le crowdfunding, qui modifient le rapport au client et bricolent une nouvelle chaîne de valeur. L’enseignement, de son côté, a connu l’arrivée des MOOCs : des formations en ligne ouvertes qui recomposent l’accès au savoir et bousculent les universités classiques.

Chaque acteur, du porteur de projet à la multinationale, se retrouve impliqué sous une forme ou une autre. Voyons, en pratique, les ressorts de cette dynamique :

  • Start-up : leur flexibilité favorise l’émergence de nouveaux business models que les grands groupes hésitent à tester.
  • Entreprises établies : misant sur l’innovation incrémentale, elles risquent d’être prises de court si une rupture intervient sur leur marché.
  • Utilisateurs : ils changent leurs habitudes, souvent sans préméditation, et deviennent des acteurs clés de l’adoption massive.

L’innovation de rupture ne laisse rien intact : elle chasse les anciens codes, impose de nouveaux standards, redessine des frontières. Explorer ces terrains inconnus, l’approche « océan bleu », revient à stimuler une nouvelle vague de croissance. Les GAFA n’auraient jamais conquis leurs positions sans cette aptitude à capter (voire susciter) l’inattendu. Face à cette lame de fond, aucune industrie ne peut se croire éternelle. Reste à savoir qui, demain, persistera dans la course, et qui sera emporté par le flot de la prochaine vague.